« Le pire dans la honte, c’est qu’on croit être seul à la ressentir »

La honte, « sentiment pénible provoqué par une faute commise, par une humiliation, par la crainte du déshonneur ». La honte est aussi le titre du 9e livre d’Annie Ernaux, oeuvre autobiographique dans laquelle elle raconte l’année 1952 et la honte que peut ressentir une jeune fille de 12 ans.

Annie Ernaux a passé son enfance à Yvetot, en Normandie, dans un milieu social modeste. Son oeuvre, principalement autobiographique, décrit la classe ouvrière à laquelle appartenait ses parents et leur ascension sociale. A la manière d’un sociologue, Annie Ernaux raconte un vécu nourri de références collectives. Le « je » est donc très impersonnel et cela est très visible dans La honte.

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Comme je l’ai dit plus haut, l’histoire se déroule en 1952 et a pour thème la honte ressentie par l’auteur lorsqu’elle avait 12 ans. Le livre démarre par une scène violente entre ses parents, une scène qui marquera la début de sa honte. Elle y raconte ensuite les caractéristiques et les codes du milieu social modeste dans lequel elle a grandi, et le regard qu’elle porte sur les gens des catégories « supérieures ». Annie Ernaux revendique une écriture neutre et un style objectif, « qui ne valorise ni ne dévalorise les faits racontés ». C’est ce style qui, à la lecture de La honte, m’a parfois déroutée. Il est tellement tentant d’apporter un jugement sur soi et sur les autres, qu’on le perçoit parfois.

J’ai fini ce livre il y a deux jours et si j’avais écrit mon avis à chaud, j’aurais probablement rangé ce livre dans la catégorie des livres que je n’ai pas aimés. En le lisant, je ressentais une certaine tristesse et parfois même, une certaine honte. Cette jeune fille de 12 ans ressemble à toutes les jeunes filles de son âge, il est donc très facile de s’identifier à elle et de ressentir ce qu’elle ressent. A l’école, comme toutes les pré-adolescentes, elle regarde les grandes filles, les « crâneuses » comme elle les appelle, qui sont déjà formées, qui ont déjà eu leurs règles et dont la silhouette et la taille sont sublimées par de jolies robes et de jolies ceintures. Les passages les plus durs sont ceux où la jeune fille a honte de ce qu’elle est et de ce que sont ses parents, son impuissance et sa solitude. Annie Ernaux écrit que « le pire dans la honte, c’est qu’on croit être seul à la ressentir ». Cette phrase est, je pense, celle qui décrit le mieux ce sentiment mais aussi celle qui est la plus dure.

C’est pourquoi je n’ai pas tout de suite aimé le livre. A chaque page, je me demandais où voulait en venir Annie Ernaux et pourquoi. Je m’ennuyais parfois mais avec le recul, je pense que c’est un bon livre. Si l’on n’aime pas un livre, c’est parce qu’il nous laisse indifférent, insensible. Ce n’est pas le cas avec La honte. Aujourd’hui, j’ai envie de dire à cette petite fille de ne pas avoir honte, de vivre et de sourire, de se créer une place dans ce monde et surtout, lui dire que ce n’est pas parce que les autres filles ont une jolie robe, qu’elles sont mieux qu’elle.

Je pense également que ce livre, si ce n’est pas déjà la cas, devrait être une lecture à intégrer au programme scolaire. Lorsque j’étais au lycée, je me rappelle avoir lu La place donc je pense que La honte a déjà sa place dans certaines écoles. C’est un très bon livre pour dénoncer la pression de la société induite indirectement par les écarts entre les classes sociales. Personne ne devrait avoir honte de ce qu’il ou elle est ou de ce que sont ses parents, ses amis. Mais évidemment, c’est mon côté naïf qui me pousse à penser cela, et je pense que c’est plus facile à dire qu’à faire.

Ce que dit la 4e de couv :

« J’ai toujours eu envie d’écrire des livres dont il me soit ensuite impossible de parler, qui rendent le regard d’autrui insoutenable. Mais quelle honte pourrait m’apporter l’écriture d’un livre qui soit à la hauteur de ce que j’ai éprouvé dans ma douzième année. »

2 réflexions sur “« Le pire dans la honte, c’est qu’on croit être seul à la ressentir »

  1. Mais je pense que tous les livres d’Annie Ernaux sont ecrits et se lisent de cette façon.
    Celui qui m’a le plus marquée..Une Femme..Je me suis longtemps demandée comment on pouvait écrire un livre sur sa mère d’une façon aussi détachée..Comment on pouvait écrire en oubliant (ou faisant comme si.)on parlait juste d’une femme.

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